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2.6. Michel Lauga, artiste peintre sur assiette

Le Courrier de Russie poursuit son aperçu de la présence culinaire française en Russie en vous présentant Michel Lauga. Arrivé il y a treize ans à Moscou pour travailler dans l’un des premiers restaurants ouverts par des étrangers en Russie, Michel Lauga n’a presque plus quitté le pays. En tous cas, il y est toujours revenu. Il est depuis deux ans consultant pour la Sodexho en Russie, et exerce ses talents de chef dans un café, ouvert il y a quelques mois dans l’une des ailes de la galerie Tretyakov, l’Art Café.

Le Courrier de Russie: Quel était votre objectif en ouvrant l’Art Café?

Michel Lauga: Je voulais utiliser l’emplacement idéal de la salle (sur un passage piéton, dans une aile du musée Tretyakov) et le mettre en valeur. Auparavant c’était juste une salle de la cantine pour le personnel de la galerie. J’ai voulu lancer un café où la nourriture serait de qualité et où je pourrais être créatif, mais qui resterait un café. Ce n’est pas un restaurant de luxe. J’ai aussi voulu jouer sur la thématique de la peinture de l’art: le bar, par exemple, est en forme de palette de peintre. Les assiettes sont en majorité carrées, comme des tableaux. Je joue beaucoup sur les couleurs, les formes pour créer mes plats et décorer les assiettes.

Les touristes qui visitent la galerie Tretyakov ne viennent ici que pour prendre un café, accompagné d’une pâtisserie. Les personnes qui déjeunent dans le café sont donc des habitués. Ce sont en majorité des Russes et des Français.

CdR: Ce goût du public russe pour les plats «authentique» est-il nouveau?

M. L: Quand je suis arrivé pour la première fois en Russie, en 1990, je pouvais proposer ce que je voulais, le public était curieux et n’exigeait rien de particulier. J’ai commencé avec les bases de la cuisine française classique: des terrines, des viandes avec des petits légumes tournés... Ce qui ne se fait plus du tout aujourd’hui. A l’heure actuelle, les Russes sont beaucoup plus exigeants, et il y a d’ailleurs de très bons chefs russes. La culture de la table est en train de s’implanter, petit а petit.

CdR: Quel a été votre parcours en Russie?

M. L.: Je travaillais au début pour Potel et Chabot, dans le restaurant de l’hôtel Mejdunarodnaia. Nous étions les seuls étrangers restaurateurs à Moscou, à ma connaissance. De là, un an après, je suis passé sous-chef de cuisine dans le restaurant de l’hôtel Métropole. Je n’y étais que consultant, et tout était très réglementé. Le chef de cuisine, un Russe, était le seul à posséder la clé de tous les placards où se trouvait la nourriture, et pour avoir le moindre ingrédient il fallait d’abord le trouver lui, puis le convaincre... J’ai quitté le Métropole pour le Radisson, où j’ai occupé pendant deux ans le poste de sous-chef de cuisine. C’était tout l’inverse de ma précédente expérience: avec mes collègues, nous étions totalement libres de créer le menu, et nous avons réellement pu évoluer.

C’était une époque folle. Tous les restaurants tenus par des étrangers (ils étaient de plus en plus nombreux) affichaient complet tous les soirs. Ils offraient quelque chose l’impensable à un public habitué lux restaurants gouvernementaux soviétiques: la variété des plats, la possibilité de dîner sans faire jouer ses relations... Au début les étrangers invitaient les Russes, pour signer des contrats. Puis, vers 1992, la tendance s’est inversée et les Russes qui avaient déjа pu construire des fortunes se sont mis а inviter les étrangers. Après le Radisson, je suis parti travailler au Maroc pendant un an. Et j’en suis revenu, pour exercer comme chef dans l’Eldorado. C’était l’un des premiers restaurants ouverts 24h/24, et il y avait en permanence la queue devant l’entrée. Le public était presque exclusivement russe. J’y suis resté deux ans, c’était un rythme difficile. Mon poste suivant a été au Grand Opéra, le restaurant cabaret ouvert par Arkadi Novikov. J’y suis resté trois ans. Et enfin, je suis entré а la Sodexho.

Aujourd’hui, il existe une base de clientèle qui se rend régulièrement dans des restaurants à Moscou. Mais elle ne grandit pas aussi vite que le nombre de restaurants.

CdR: Est-ce que les chefs français sont très recherchés en Russie?

M. L.: Les chefs français sont, avec leurs collègues italiens, les plus recherchés par les directeurs de restaurants. Il y a environ vingt à vingt-cinq cuisiniers français en permanence en Russie. Les chefs espagnols commencent aussi à être à la mode... Il existe en effet une forte demande pour une cuisine méditerranéenne, avec beaucoup de couleurs, de goûts, de légumes, ce qui explique la prédilection pour les personnes en provenance du Sud de l’Europe. Les goûts actuels tendent aussi vers ce que l’on appelle parfois la fusion, qui est un mélange entre cuisine européenne et cuisine orientale. Enfin, avoir un cuisiner étranger est un gage de qualité et de service de haut niveau, ce qui plaоt de plus en plus aux Russes.

CdR: Quelles raisons vous poussent à toujours revenir à Moscou?

M. L.: C’est par hasard que je suis venu, et je me suis plu dans le pays. Je reviens après chaque départ car on me fait des propositions intéressantes... Et je trouve que la France est un peu stérile. Ici, toutes les cinq minutes il arrive quelque chose, en cuisine, en salle, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Et la Russie est un pays où il y a énormément de possibilités.

Le Courrier de Russie. 2003. Septembre