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3.4. Les Français lisent-ils encore?

Près de trois Français sur dix (27 %) ne lisent jamais. Ce chiffre peut paraître important, il est cependant en baisse: il y a dix ans, en effet, un bon tiers des Français (35 %) n’avaient lu aucun livre au cours de l’année écoulée. Qui sont les non lecteurs? Ce sont plutôt des hommes, âgés de plus de cinquante ans, peu diplômés, agriculteurs ou ouvriers. En fait, aux deux extrêmes, il existe deux catégories de lecteurs: les «gros lecteurs» ayant lu plus de dix livres dans l’année, qui représentent moins de 25 % de l’ensemble dont 3 % de «très gros lecteurs»: plus de cinquante livres par an; les «petits lecteurs» (moins de deux livres dans l’année) environ 20 %.

Selon diverses études, c’est la longueur des livres qui éloigne le plus les lecteurs éventuels (y compris parmi le public scolaire et universitaire) qui affirment n’avoir pas suffisamment de temps à consacrer à une lecture désintéressée et gratuite. Ce public, habitué à «zapper» avec la télévision ou les jeux vidéo, adopte souvent la même habitude face aux livres. Certains éditeurs se sont engouffrés dans ce créneau et proposent des «versions allégées» de grandes oeuvres classiques (éditions proposant une remise en perspective du type «la vie et l’oeuvre», un résumé détaillé du livre avec, la plupart du temps, en «version originale» les passages les plus significatifs et un appareil critique permettant au lycéen ou à l’étudiant de rédiger une dissertation sur le sujet.

Mais ce n’est pas la seule raison à la désaffection vis-à-vis du livre et de la lecture. L’audiovisuel (96 % des ; ménages ont au moins une télévision, près de 70 % un magnétoscope) et de plus en plus le numérique (près d’un million et demi de lecteurs de CD-ROM achetés fin 1996, essor du vidéodisque, développement des réseaux Internet, etc.) occupent désormais une place considérable dans l’univers des Français. Périodiquement, on annonce que l’audiovisuel et les nouvelles technologies vont tuer le livre. Rien n’est moins sûr. On peut en effet supposer qu’elles devraient servir le livre, surtout lorsqu’il s’agit d’ouvrages de référence comme les dictionnaires ou les encyclopédies, plutôt que le concurrencer.

Enfin, les Français aiment les livres: leur attitude à l’égard du livre et de la lecture est très positive; ils admirent ceux qui écrivent, aiment offrir ou recevoir des livres qu’ils considèrent comme des objets à part et respectent en tant que source de savoir et d’enrichissement personnel.

Pour Francis Marcoin, responsable du département de Lettres modernes de l’Université du Littoral, il faut nuancer le regard porté sur le rapport entre les étudiants et la lecture.

Selon vous, est-il vrai que les étudiants lisent moins qu’autrefois?

C’est le statut de l’étudiant qui a changé et avec lui le rapport au livre. Le projet de bon nombre d’étudiants est avant tout d’ordre professionnel. Faire des études supérieures ne répond plus nécessairement au désir d’accéder au statut d’intellectuel. Par ailleurs, la dépolitisation des universités accentue cet effritement d’une identité «étudiant intellectuel». Dans les années 70, le livre et le groupe étaient le support d’une identité. Quand les étudiants lisaient Barthes, Genette ou Foucault, ils voulaient s’inscrire dans les débats du moment. Ce mode de reconnaissance par la lecture s’est estompé.

Aujourd’hui, cela ne correspond plus à la situation intellectuelle qui prévaut en France. Le discours universitaire a renoué avec une pratique plus traditionnelle. En outre, il est évident que les nouveaux étudiants, c’est-а-dire ceux qui n’auraient pas été à l’université il y a encore cinq ans, n’ont plus la même connivence avec le livre. Et tout d’abord par manque de moyens financiers.

Cette distance plus grande avec le livre et la lecture peut-elle expliquer les difficultés ou les échecs de bon nombre d’étudiants?

Il y a quelque chose d’un peu agaçant dans le discours actuel qui tend à magnifier la lecture. Il faut resituer la lecture dans des comportements culturels plus larges, fondés sur une capacité d’écoute, d’entendement. La question n’est pas tant de savoir si les étudiants lisent beaucoup mais bien plutôt s’ils sont capables de se mouvoir dans les textes, de donner un sens à leurs diverses lectures. Ceci étant, on peut très bien être bon étudiant et lire peu.

Cela signifie-t-il que les étudiants ont aujourd’hui une pratique plus utilitaire de la lecture?

En France, la pédagogie de la lecture et de la littérature est marquée par une tradition de la lecture intensive, une sorte de rumination du texte, qui passe par deux exercices très codifiés: l’explication de texte et la dissertation. Or, il est manifeste, par exemple, que la dissertation est d’abord un exercice de rhétorique, démontrant la capacité à poser une problématique et à conduire un raisonnement, mobilisant un savoir-faire plus qu’elle n’incite à la lecture extensive des oeuvres.

La Documentation française